Il s’est fait un nom en volant l’image des plus grands. Du haut de ses 83 ans, le roi des paparazzis nous raconte ses traques mythiques et ses liaisons dangereuses. Quand les exploits de ses confrères font le buzz en France, une exposition érige son métier en art.
Ron Galella, le « king des paparazzis ». On connaît peu son visage, pourtant ses photos de stars ont fait le tour du monde. Jackie Kennedy, Andy Warhol, Elvis Presley, Robert Redford, Madonna, David Bowie… Rares sont les personnalités, entre les années 1960 et 1980, à ne pas avoir été immortalisées par le plus intrépide des voleurs d’images, le pionnier du genre.
De lui, on a dit que c’était un « sale type », une « sangsue », un « enfoiré », un « parasite ». Marlon Brando lui a cassé cinq dents en démolissant sa mâchoire, les gardes du corps de Richard Burton l’ont roué de coups avant de le faire jeter en prison, Mick Jagger ne l’a jamais salué autrement qu’en lui faisant un doigt d’honneur, Jackie Kennedy lui a intenté deux procès… C’est simple, l’évocation de son nom chez les « rich and famous », jusqu’à l’orée des années 1980, déclenchait généralement une diatribe plus ou moins haineuse.
Calé dans un fauteuil moelleux, en pantoufles et canne à portée de main, Ron Galella n’en a cure. Le « king des paparazzis », le plus coriace aussi, ancien de la guerre de Corée, qui parfois n’a pas hésité à opérer casqué, est un vieux monsieur de 83 ans aujourd’hui. L’œil est toujours vif, le ton alerte, les anecdotes sont savoureuses, mais l’époque en a vu d’autres depuis, et même de bien plus trash. Et pourtant. Ron Galella inspire toujours le respect. Il est devenu une institution, le premier des paparazzis, « le parrain » de cette culture, comme l’ont souligné Time Magazine et Vanity Fair,« un artiste dans un domaine non reconnu comme étant un art », souligne Glenn O’Brien, journaliste et témoin du New York underground.
Au point que plusieurs musées et galeries rendent hommage à son travail. En France, la prochaine exposition aura lieu au Centre Pompidou-Metz du 26 février au 9 juin prochain, parcourant un demi-siècle de photos et de liens complexes se tissant entre photographes et célébrités.
"Jackie Kennedy m’a rendu célèbre"
« Je n’aurais jamais imaginé un jour faire mon entrée dans les musées et le monde de l’art en général, raconte Ron Galella. J’en suis très fier, mais je le mérite », tranche-t-il avec une inébranlable confiance en lui-même. D’ailleurs, « avoir un énorme ego (sic) a été un vrai moteur », poursuit le photographe. Tout comme d’avoir été « très » pauvre. « Cela vous oblige à ne jamais vous arrêter », lance-t-il dans un rire. L’Amérique aime bien ces histoires de détermination mâtinées de dur labeur : Ron Galella, petit gavroche du Bronx, issu d’une famille d’immigrés italiens, entretient la légende. À 22 ans, de retour de la guerre de Corée durant laquelle il sert en tant que photographe dans l’United States Air Force, il n’a pas le moindre dollar en poche, mais un enthousiasme, un culot et une énergie d’airain. Après des études de photo à Los Angeles et des premiers clichés d’anonymes qui n’assurent pas sa pitance, il change de tactique. Désormais, il traquera les célébrités.
« J'avais mis en place un réseau d'indics »
Aux portraits figés de l’époque mettant en scène des stars un peu trop souriantes, il oppose des photos prises sur le vif : « Ce qui m’intéressait, c’était que cela soit spontané, sans répétition, sans maquillage. Que le sujet soit pris de court. » Nous sommes à l’aube des années 1960, Ron Galella opère tel un chasseur attendant sa proie, tapi dans l’ombre. Il force toutes les portes, s’introduit dans les soirées les plus privées et… ne s’interdit aucune photo. Liz Taylor, Gina Lollobrigida, Frank Sinatra, Robert Redford, Elvis Presley…, ses instantanés volés s’arrachent et font la une des magazines d’actualité les plus prestigieux, tels que Harper’s Bazaar, Vogue, Vanity Fair, Rolling Stone, People,The New Yorker .« Je pouvais gagner jusqu’à 1 000 dollars par photo, une manne à l’époque ! » se souvient-il.
Artistes, créateurs, stars de cinéma, écrivains..., il traque sans relâche la jet-set dans les fêtes et autres virées nocturnes new-yorkaises. En loup solitaire, il met au point tous les stratagèmes pour ne rater aucun fast shoot. « J’avais mis en place un réseau d’indics, j’épluchais les pages potins des journaux, je restais des heures à guetter quelqu’un, je me cachais dans une cave, je rentrais par les cuisines… Je crois que j’ai tout fait pour coincer les personnalités que je voulais immortaliser », s’amuse le photographe, « et à l’époque, il n’y avait pas de portable !»
"Les célébrités d’aujourd’hui manquent de glamour"
« Si Galella n’a pas inventé le mot paparazzo (NDLR : on le doit à Fellini dans les années 1960), il a certainement incarné cette fonction nouvelle », explique Arnaud Adida, le directeur de la A. Galerie, qui le représente en France. « Son travail a contribué à redéfinir, voire à réinventer, la relation entre les stars et la photographie. » Risque-tout absolu, sans amour-propre ni second degré, Ron Galella ne recule devant rien. Et s’attire bientôt les foudres des stars qu’il harcèle sans relâche. À commencer par Jackie Kennedy Onassis, « mon obsession », confesse-t-il. Pourquoi elle ? « D’abord, elle était magnifique, avec de grands yeux… Et puis elle avait cette façon si douce de parler, presque en chuchotant. Envoûtante, mystérieuse, tout cela la rendait si glamour. » Bien malgré elle, Jackie Kennedy rendra Ron Galella célèbre avec Windblown, une de ses plus belles photos, qui fera le tour du monde. Un coup de chance encore. « Je l’ai repérée en sortant de Central Park, près de chez elle, après un shooting. Elle ne m’a pas vu tout de suite. J’ai sauté dans un taxi pour ne pas me faire repérer, et c’est le chauffeur qui l’a klaxonnée. Quand elle s’est retournée, surprise, je n’ai eu qu’à appuyer sur le déclencheur. » Mais cette bonne fortune deviendra aussi son cauchemar. Jackie Kennedy lui imposera deux procès, qu’il perdra, et le tribunal lui interdira à tout jamais de s’approcher à plus d’une centaine de mètres de Jackie. « Cela m’a rendu célèbre, mais cela a été long et difficile », soupire-t-il.
Aussi honni par certains qu’apprécié par d’autres, comme Andy Warhol qui s’est toujours dit fasciné par « ce gars ordinaire » avec un horrible accent de banlieue et son costume chiffonné, Galella, par sa persévérance, est devenu un photographe d’exception. Réputé mais controversé, il a donné ses lettres de noblesse à ce métier, comme il a su se rendre indispensable à l’industrie du showbiz. D’ailleurs, il considère être dédouané de toute culpabilité puisqu’il a « grandement contribué à accroître la notoriété » de beaucoup. Ron Galella a raccroché son appareil depuis 1992, ne le sortant plus que lors du gala du Metropolitan Museum, la grand-messe annuelle qui rassemble le gotha du showbiz mondial. Aujourd’hui, il vit entouré de tous ces souvenirs, dans son manoir kitschissime de Montville dans le New Jersey - que la chaîne HBO a voulu louer pour le tournage de la série « les Soprano ». Chaque cliché est méticuleusement catalogué dans le sous-sol de sa demeure, attendant d’être sélectionné pour un livre souvenir.
Dehors, une foultitude de nains et de lapins en terre cuite rappelle « les enfants qu’il n’a pas eus » ; dedans, il n’y a quasiment pas un centimètre carré qui ne soit recouvert de portraits de stars immortalisées par ses soins. Entouré de sa femme, d’un assistant et de quelques fantômes, il ne peut s’empêcher de convoquer inlassablement le passé, citant à l’envi, comme un amant éconduit, le nom de Jackie Kennedy Onassis. Mais l’œil est toujours aussi affûté. Les célébrités d’aujourd’hui ? « Elles manquent de glamour. » Selon lui, seuls Nicole Kidman et les Brangelina (NDLR : Angelina Jolie et Brad Pitt) seraient dignes d’être photographiés par ses soins.
Le tableau de chasse de Ron Galella
Les paparazzis entrent au musée !
Ils sont en vedette au Centre-Pompidou-Metz. Zoom sur Clément Cheroux, commissaire de l'exposition « Paparazzi ! Photographes, stars et artistes » du 26 février au 9 juin, à Metz.
Comment est né ce projet ?
C'est une idée de Laurent Le Bon, directeur du Centre, qui avait été fasciné par une exposition sur Daniel Angeli à l'étranger. Cela correspond à notre volonté d'ouvrir le champ photographique. Outre la photo d'art, il y a d'autres pratiques extraordinaires jusque-là négligées : la mode, le journalisme...
On ne s'attend pas à voir des "images volées" dans un musée...
C'est tout l'enjeu de l'exposition. Montrer qu'il y a de une esthétique du paparazzi, malgré le cadre contraint dans lequel il travaille – perché dans un arbre, caché derrière une voiture, obligé d'utiliser un téléobjectif... Je pense à la main devant le visage dont se protègent les personnalités, c'est devenu un code, on le voit sur Facebook, un signe pour jouer à la star.
Que montre l'exposition ? Des célébrités ?
Pas seulement. La moitié des 600 documents illustre l'intérêt que portent les plasticiens à ce genre depuis les années 1960, disons, pour résumer, de Warhol à Cindy Sherman. Il y a dans ces images improvisées une énergie qui les inspire.
Propos recueillis par Laurence Mouillefarine